Homélie pour la Sainte Famille, année C
1Samuel 1,20-22.24-28 / Psaume 83 / 1Jean 3,1-2,21-24 / Luc 2,41-52
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> Une homélie n’est faite ni pour être lue ni pour être vue en vidéo, c’est un exercice oral. Vivez l’expérience pleinement en l’ECOUTANT :
Chers Amis,
Dans ma famille, plusieurs d’entre vous le savent, nous sommes quatre garçons. J’ai trois frères et nous n’avons jamais eu de sœur. Et mes trois frères sont largement plus âgés que moi, puisque j’ai quinze ans d’écart avec le plus jeune des trois. Ils se sont donc mariés tous les trois quand j’étais encore un enfant.
Du coup, chez mes parents, à Genève, il y a une étagère avec les photos des mariages de mes frères. Deux, en-haut, et le troisième en-dessous… et toute mon adolescence j’ai contemplé une quatrième place, vide. En pensant, très logiquement, que la quatrième photo serait celle de mon mariage, un jour.
Le problème avec Dieu – et avec la famille – c’est que l’un et l’autre obéissent rarement à la logique des hommes, vous avez remarqué ?
St Augustin disait d’ailleurs : « Si tu comprends, ce n’est pas Dieu. » Si tu comprends… ce n’est pas Dieu, c’est une phrase à se redire de temps en temps, je crois, quand on a l’impression de ne pas comprendre Dieu. Ou au contraire quand on a l’impression d’avoir tout compris !
Si tu comprends, ce n’est pas Dieu…
Une manière de dire que ce que nous croyons pouvoir déduire ou avoir déjà compris à son sujet risque bien de prendre quelques chemins de traverse si nous permettons vraiment à Dieu d’habiter notre monde, notre réalité humaine.
Alors aujourd’hui, nous fêtons la Sainte Famille. L’occasion de se rappeler, peut-être, que dans la langue de Jésus le mot « famille » n’existe pas. En hébreu – l’hébreu est une langue qui fonctionne par images – pour dire « famille » on utilise le mot « maison ».
C’est intéressant : celles et ceux qui habitent dans une même maison sont une famille. Nous sommes une famille, ce matin, puisque nous sommes sous un même toit.
Mais pour beaucoup, la définition de la famille est plutôt une définition moderne que le mot « maison ».
Si l’on en croit les manifestations qui ont eu lieu en France ces dernières années, le modèle chrétien familial est très clair : un papa, une maman, deux enfants, si possible un garçon et une fille, comme ça tout est bien équilibré.
Vous avez déjà vu ces petites silhouettes de la Manif pour Tous ? Ah je n’ai rien contre la Manif pour Tous, mais la famille – si on laisse vraiment Dieu l’habiter – c’est peut-être un tout petit peu plus complexe que cela…
Dans ma famille, avec quatre garçons et aucune fille, c’était déjà mal barré pour l’équilibre ! J’ai des nièces, depuis, et des petites nièces, maintenant, mais quand même.
Mes parents, ceci dit, étaient loin de se douter qu’il n’y aurait pas un quatrième mariage sur l’étagère, dans leur salon, et que la quatrième cérémonie serait une ordination sacerdotale.
Il faut laisser une chance à Dieu avant de plaquer des modèles sur ce que l’on croit avoir compris de ce qu’il veut pour nous. Avant de dire : « Une famille c’est un papa, une maman et des enfants. » Peut-être qu’avec Dieu c’est un peu plus large que cela… Dieu a peut-être quelque chose d’autre à nous dire, et cela pourrait bien nous surprendre, si on lui laisse la place…
Prenez la Bible, par exemple. Vous savez ce livre qui prend parfois la poussière sur nos étagères… Ça vaut la peine de l’ouvrir régulièrement, tous les jours même ! C’est édifiant la Bible ! Mais si vous lisez bien la Bible, vous vous apercevrez qu’il n’y a pas un modèle familial dans la Bible. Non…
Il n’y a pas une famille « normale » dans la Bible. « Normale » au sens où le voudraient les gens qui plaquent l’étiquette « normal » sur tout ce qu’ils aiment et qui flinguent tout le reste, bien sûr.
La famille biblique normale, ça n’existe pas, Chers Amis, pour ainsi dire pas.
Y compris la Sainte Famille ! J’ai choqué une dame, en Valais un jour, en rappelant cela mais ce n’est pas moi qui l’invente : en termes de couple modèle qui ferait tout bien comme il faut, désolé mais il y a un petit peu de friture sur la ligne, en ce qui concerne Marie et Joseph !
Marie est enceinte alors qu’elle n’est que fiancée à Joseph, si l’on en croit Matthieu. Et Joseph qui va devenir son futur mari n’est pas le père de l’enfant…
…je m’excuse mais on est exactement dans ce que dénoncent habituellement les bien-pensants qui disent de nos jeunes « ils font tout à l’envers, ils font rien comme il faut ! »…
Ben eux non plus, hein ! Il ont pas tout fait « comme il faut » et pourtant c’est la Sainte Famille !
Désolé mais la Sainte Famille n’est pas « normale » au sens où notre monde l’entend trop souvent !
Et l’anormalité familiale, ça commence dès les premières pages de la Bible. Si vous cherchez la première fois qu’on parle de liens familiaux… c’est Abel et Caïn, c’est pour dire qu’un frère a tué son frère. C’est pas tout à fait ce que l’on attendait de la Bible lorsqu’elle nous parle de famille. Et pourtant c’est là !
Peut-être que la Bible vient nous dire que d’avoir le même sang qui coule dans nos veines, ce n’est pas si simple, en fait. Peut-être que, justement, la Bible vient nous dire que s’il y a des conflits entre frères et sœurs, c’est peut-être ça qui est « normal ».
Mais ce n’est pas tout. Prenez les textes que nous avons entendus ce matin… pour la fête de la Sainte Famille !
Vous aviez le livre de Samuel. C’est joli, l’histoire du petit Samuel… On écoutait Anne, sa maman, Anne qui va au temple présenter le petit Samuel… on se dit qu’on va assister à un baptême familial dans les règles, avec de l’encens, tout, on va tout faire bien… non !
Que fait Anne ? Elle présente son enfant, d’accord, mais ensuite… ? elle le laisse ! Elle le laisse là puis elle repart. Comme si elle se disait : « Ben voilà, celui-là il sera pour Dieu ! »
Ce n’est pas tout à fait ce qu’on attendrait d’une famille modèle, ou de l’action d’une maman.
Remarquez, ma Maman à moi, même si elle a eu beaucoup de peine à laisser son quatrième fils à l’Eglise, je crois que quelque part elle est contente maintenant de l’avoir fait !
Et quand j’entends des mamans me dire « Oh vous savez, nous, on prie pour les prêtres, hein ! Oh oui, il nous faut des prêtres, on prie pour les prêtres ! …Mais pas dans ma famille, hein, ça non, on n’en veut pas, hein ! »
Je me dis que, si on laisse Dieu habiter nos familles, peut-être que ça va bouleverser un peu ce qu’on pensait à la base. Il faudrait peut-être plus de comportements comme celui de Anne, la maman de Samuel, pour qu’on ait davantage de prêtres.
Prenez le psaume que nous avons entendu…
Le psaume, lui, évoquait les fils de Jacob. Je ne sais pas si vous avez l’histoire en tête, mais c’est très-très-très loin d’être une partie de plaisir, cette famille-là, hein ! Là aussi il y a des rivalités extraordinaires ! C’est bourré de conflits, de gens qui ne s’entendent pas, d’histoires d’héritages…
Ça nous rappelle vaguement nos familles à nous, hein ! Les histoires d’héritages, on connaît ! Ça, pour déchirer une famille, ça n’a pas son pareil !
Comme si à nouveau la Bible voulait nous dire : « Ta famille ne te semble pas tout à fait être dans la norme ? Eh bien peut-être que c’est justement ça, la norme ! »
Peut-être que c’est de ne pas être dans les clous, la norme, pour Dieu…
Et puis il y avait l’Evangile ! L’Evangile qui parlait quand même d’une fugue de Jésus – ou de ses parents qui l’ont oublié au passage, choisissez la version que vous préférez, mais enfin… C’est ça, hein !
Un ado qui fugue ou des parents qui oublient leur enfant sur une aire d’autoroute, c’est pas tout à fait non plus le modèle familial qu’on s’attendait à lire pour la Sainte Famille !
Et là c’est plus la famille d’Abel et Caïn, c’est celle de Jésus, hein !
Comme si la Bible voulait nous dire : « Dans la famille de Jésus aussi, il y a eu des soucis ! » Les parents de Jésus aussi se sont fait un sang d’encre ! « Pourquoi nous as-tu fait cela ? » dit Marie…
La clé de tout cela, chers Amis, elle était peut-être à chercher dans la deuxième lecture, la lettre de Jean. Qui nous rappelait que l’important, quelle que soit notre famille, quelles que soient nos familles cabossées, déchirées, recomposées, l’important c’est d’y mettre de l’Amour.
L’important, disait Jean, c’est de nous aimer les uns les autres. Et ça, c’est essentiel dans une famille. C’est à cela qu’on reconnaît aussi nos familles de cœur. Plusieurs d’entre nous en ont peut-être. Des familles qui ne sont pas de notre sang mais que l’on aime de tout notre cœur. J’ai eu la chance de fêter Noël hier dans une de mes familles de cœur. C’est l’Amour qui crée – ou pas – la famille, je crois.
Alors, Chers Amis, peu importent nos conflits, nos déchirures, nos disputes… Comme le disait la petite Antigone : « C’est plein de disputes, un bonheur ! ».
Peu importe ! L’important, c’est qu’on y mette l’Amour, qu’on y mette notre Foi, qu’on laisse Dieu habiter tout cela…
Dieu va venir en nous disant: « Ah tu croyais que ce serait normal, dans ta famille ? C’est mal connaître la vie mon ami ! Ta famille va être comme toutes les autres. Elle va être bizarroïde, par moments. Mais si tu y mets l’Amour… et si tu me laisses l’habiter… alors on fera de grandes choses ensemble. »
Chez mes parents, aujourd’hui, il y a une quatrième photo sur l’étagère. Sur les trois autres il y a un jeune homme et une belle femme en robe blanche. Sur la quatrième photo, il y a un jeune homme seul… en robe blanche !
Avec Dieu, ce n’est jamais aussi simple qu’on le pensait au départ, mais le chemin est passionnant !
Alors osons le laisser pleinement habiter nos vies. Tout n’y sera pas « normal » comme voudrait le penser le monde.
Mais le monde est-il normal ? Pas sûr.
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Bex, 26 décembre 2021, 10.00
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