Famille « normale » ?

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Homélie pour la Sainte Famille, année C

1Samuel 1,20-22.24-28  /  Psaume 83  /  1Jean 3,1-2,21-24 / Luc 2,41-52

> Une homélie n’est faite ni pour être lue ni pour être vue en vidéo, c’est un exercice oral. Vivez l’expérience pleinement en l’ECOUTANT :

Chers Amis,

Nous fêtons donc la Sainte Famille. J’ai un ami, grand bibliste, grand théologien, prêtre dominicain, qui donne des conférences à droite à gauche sur la Bible. Il est assez connu parce qu’il a écrit plusieurs livres.

Et un jour un monastère de Sœurs l’appelle :

• Mon Père, on aimerait que vous prêchiez une retraite !
• Eh bien, volontiers, dit-il. Est-ce que vous avez une idée de sujet ?
• Ah oui ! On aimerait bien une retraite sur la famille dans la Bible, dit la mère supérieure de ce monastère.

Mon ami bibliste répond que :

• Oui, bien volontiers ! Y a-t-il déjà des idées de découpage, des textes à travailler ?
• Non, non, non ! dit-elle. On vous fait entièrement confiance ! On aime beaucoup ce que vous faites !

C’est toujours très dangereux quand on vous dit : « on aime beaucoup ce que vous faites. » !

Et mon ami bibliste, au téléphone, de commencer par dire :

• Eh bien, on pourrait commencer la semaine par la première fois que la Bible parle d’une famille, la première fois qu’elle parle de deux frères : Abel et Caïn…

La première fois que la Bible parle de deux frères, c’est pour dire que l’un a tué l’autre.

• Vous n’y pensez pas, dit la mère supérieure. On ne peut pas faire ça ! Non, non, pas ce texte-là, c’est horrible !
• Ah bon ? Alors, dit mon ami, on peut aller un peu plus loin dans la Genèse avec l’histoire de notre ancêtre à tous, Abraham…
• Ah oui, ça, c’est bien ! dit la mère supérieure.
• Mais oui, Abraham, qui ne peut pas avoir d’enfants avec Sarah, son épouse, et qui du coup commence par en faire un à sa servante Agar.

Un petit toussotement au téléphone :

• On préférerait un autre texte, mon Père !

• Alors, allons un peu plus loin dans la Genèse. Il y a une grande histoire familiale dans la Genèse, l’histoire de Joseph et ses frères qui le laissent pour mort dans une citerne avant qu’il soit retrouvé…
• Oh non, surtout pas cette horrible histoire ! Vous n’y pensez pas ?!!
• Ah-ah, vous préférez qu’on parle des ancêtres de Jésus, alors ?
• Ah oui, ça c’est bien.
• Est-ce que vous préférez Rahab, la prostituée ? Ou plutôt Bethsabée, l’épouse de David ?

Grand silence au bout du fil…

• On préfère d’autres textes, mon Père.

Mon ami Bibliste passe au Nouveau Testament et dit à la mère supérieure :

• Vous préférez qu’on parle de la famille de Jésus, la Sainte Famille ?
• Ah oui, oui, ça c’est bien, mon Père !
• Effectivement, c’est bien, répondit-il. C’est intéressant ce Joseph qui ne dit pas un mot de tout le Nouveau Testament et Marie qui est enceinte alors qu’elle n’est que promise en mariage à Joseph.

(Oui, si on lit bien les textes, elle n’est pas encore mariée) et qui enfante un enfant dont, d’ailleurs, Joseph n’est pas le père. Il me semble, dit mon ami, que ça dit peut-être quelque chose de nos familles, ou tout n’est pas toujours tout à fait dans la normalité…

Grand silence au bout du fil et, au bout de 5 secondes, la mère supérieure dit :

• Heu… écoutez mon Père, on vous rappellera, hein ?

Si vous lisez la Bible correctement, Chers Amis, non pas avec les lunettes qui nous y font lire ce qu’on aimerait bien y trouver, si vous lisez la Bible correctement, vous verrez qu’il n’y a pas une seule famille « normale », dans la Bible.  « Normale » au sens où les biens pensants comprennent la normalité, bien sûr. Les biens pensants qui cancanent, vous savez, sur les parvis de certaines églises :

• Tu as vu la fille d’untel ?
• Mais tais-toi ! Mais c’est vrai ce qu’on dit ?
• Mais oui, je t’assure, elle attend un bébé, ils sont même pas mariés !
• Mais des choses pareilles !
• Tu me diras, ils vivent à la colle depuis cinq ans, alors ça devait bien arriver !
• Jésus, Marie, Joseph, faut toujours qu’ils fassent les choses à l’envers de tout le monde, ceux-ci !
• Des chôôôôôôses pareilles !

…ça, c’est ce qu’on dit ici, en Valais.

La « famille biblique normale », Chers Amis, n’existe pas. Comme si la Bible voulait nous dire :

• Il y a deux-trois petits trucs qui ne sont pas logiques dans ta famille ? il y a un petit peu de friture sur la ligne ? Il y a peut-être même un ou deux cadavres dans le placard, dans l’arbre généalogique ? Ben, en fait, la famille de Jésus, c’est pareil.

C’est une sacrée famille. C’est une « sainte famille ». Mais « sainte » ne veut pas dire « parfait ». C’est une famille qu’on te donne en exemple, qu’on te met sous les yeux pour te dire : si, chez toi aussi, tout n’est pas tout à fait « normal », eh bien, peut-être que tu es de la famille de Jésus, finalement. Peut-être que c’est assez logique, ce que tu es en train de vivre.

Prenez les textes qu’on a entendus ce soir, les textes que l’Église, dans sa grande sagesse, nous donne précisément à entendre le jour de la Sainte Famille. On se dit que l’Église a dû choisir des textes qui parlent de familles exceptionnelles.

La première lecture nous parlait du petit Samuel, vous l’avez entendu… Vous connaissez l’histoire du petit Samuel, mais là, on avait le début de l’histoire qu’on entend rarement.

Anne, sa maman, amène son fils au Temple pour le présenter au Seigneur. Et là, on se dit qu’on va assister à un magnifique baptême avec toute la famille. La robe de baptême qu’on a depuis des décennies… Eh bien pas tout à fait, hein !

Vous l’avez entendu : Anne amène son fils au Temple… et qu’est-ce qu’elle fait ? Elle le laisse et elle repart !

Je ne sais pas si vous, quand vous étiez bébé, on vous a amené ici et on vous a laissé… Mais j’imagine pas, quand même hein ! C’est pas tout à fait ce qu’on attend d’une Maman !

Mais c’est ce que fait Anne. Elle le consacre au Seigneur.

Si vous continuez les lectures d’aujourd’hui, il y avait le psaume ensuite qui parlait de la famille de Jacob.

Alors je ne sais pas si vous avez l’histoire en tête, mais cette famille-là, c’est très-très loin d’être une famille normale, hein ! Elle ne suit pas tout à fait un long fleuve tranquille, la famille de Jacob ! Il n’y a que des problèmes dans cette famille, et notamment des problèmes d’héritage.

Ah, ça, on connaît bien, n’est-ce pas ? Enfin je ne sais pas pour vous, mais il me semble qu’autour de nous, on connaît quelques familles qui ont des soucis d’héritage.

C’est comme si la Bible voulait nous dire :

• Il y a ce genre de problèmes dans ta famille ? Peut-être qu’elle est biblique, alors… Peut-être qu’elle est comme les familles de la Bible. Peut-être qu’elle est assez normale, finalement…

Et puis enfin, il y avait l’Évangile ! L’Évangile qui parlait quand même d’une fugue de Jésus, excusez-moi du peu !

Ah oui, c’est cet Evangile-là qu’on a choisi de nous faire entendre pour la Sainte Famille, c’est particulier quand même !

Soit c’est Jésus qui fugue, soit c’est ses parents qui l’ont oublié, il y a les deux versions… mais enfin, dans les deux cas, on aurait pu trouver mieux pour la Sainte Famille, non ?

L’Église nous propose ce texte pour nous dire :

• Tu as des ados qui ne sont pas faciles ? Bah… c’est peut-être bon signe ! La famille de Jésus aussi a eu quelques petits soucis !

Et là, on n’est plus dans l’Ancien Testament, chez Abel, Caïn où Jacob, hein ! On est dans la famille de Jésus !

D’ailleurs Marie le dit, vous l’avez entendu, elle dit à Jésus : « Mais pourquoi tu nous as fait cela ? » Même elle est attristée par cette situation.

La clé de tout cela, Chers Amis, elle était dans la deuxième lecture.

La lettre de Jean qui nous rappelle que l’important, quelle que soient nos familles, quelles que soient les blessures, les déchirures, les failles qui s’y trouvent, l’important, c’est qu’il y ait de l’amour et c’est de laisser Dieu y agir.

C’est ça le plus important, disait Jean : de nous aimer autant que possible les uns les autres dans nos familles.

Et puis s’il y a quelques petits ratés sur la ligne, souvenez-vous que la famille de Jésus n’a pas été toute simple, elle non plus.

Alors Chers Amis, quelles que soient vos familles, fêtez-les parce que c’est beau, une famille. Fêtez-les mais n’oubliez pas que si tout n’est pas tout à fait « normal » dans votre famille, elle risque bien de ressembler à la famille de Jésus…

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Champex, 28 décembre 2024, 17.00 (version enregistrée)

Aigle, 29 décembre 2024, 10.00