Homélie-Sketch pour le Mariage de
Claudia et Jean-Sam
Psaume 127 / Mt 5, 13-16
NB : Mariage oecuménique célébré dans un temple. La prédication est en forme de sketch vu les origines valaisannes et vaudoises des mariés.
Version audio :
Version écrite :
Anne-Sylvie : accent vaudois / Vincent : accent valaisan
Ils sont attablés. Une bouteille de blanc et deux verres.
- Bon, Anne-Sylvie, va quand même falloir qu’on pense à préparer la prédication de nos jeunes mariés, ici !
- Oh voilà une rude bonne idée, ami Vincent ! Mais pour libérer les neurones, rien de mieux qu’un petit coup de blanc !
- Oh mais là tu fais plaisir ! Tu as pensé au petit coup de blanc ! Qu’est-ce tu me sers ?
- Oh ben ici, en pays de Vaud, un bon Dézalay, ça nous poutzera le cerveau !
- Un quoi ?
- [montre la bouteille] Un Dézalay, c’est un des meilleurs blancs de la région, Vincent !
- [sceptique] Montre-voir… Ouh… on en avait une de celui-ci au chalet, on l’a servie pour faire les vitres, l’autre jour ! ça a tout rayé ! Tu aurais pas du Johanis ou un Fendant, quelque chose de buvable ?
- Mais enfin tu ne vas pas ramener ici la vieille bringue entre Vaudois et Valaisans au sujet du vin ! Tu sais quand même ce qu’on dit : le vin de Vaud, il vaut, et pis le vin du Valais, il valait !
- Alors pousse pas le bouchon avant d’avoir vendu la peau de la branche sur laquelle on est assis, hein ! L’écusson du Valais, il y a du rouge pis y a du blanc. Ça montre bien qu’on est un pays de vignes. Pis t’as treize étoiles dessus, c’est dire la qualité du pinard !
- Bah sur le drapeau vaudois aussi, y a du blanc, que je sache !
- Alors j’la ramènerai pas trop, parce qu’il est rayé blanc et vert. Comme les produit M-Budget, tu vois ! Je crois qu’c’est clair !
- Mais goûte-voir quand même !
- [il boit] Alors faut reconnaître… [reboit]… faut reconnaître ! Faut reconnaître que j’ai connu des Neuchâtel clairement plus ratés que celui-ci.
- Mais quelle mauvaise foi ! Tu trouverais pas de l’eau dans le Léman, toi !
- Le ?
- Le Léman, le lac…
- Nous, on dit l’étang du Bouveret, en Valais.
- Bon, je vois que c’est irrécupérable. Occupons-nous plutôt de nos mariés !
- Alors excuse-moi, mais on est en plein dedans. La petite Claudia à nous, qu’est-ce qui lui a passé par la tête ?
- C’est-à-dire ?
- Elle avait tous les petits gars du Valais Central à ses pieds, qu’est-ce qu’elle est allée nous chercher un Vaudois, non mais des chôôôses pareilles !
- Mais d’abord Jean-Sam, il ne se résume pas à son origine, regarde-le, c’est un beau parti !
- Ca, on est d’accord. mais faut voir l’accent, Jésus-Marie-Joseph !
- Bon moi, je serais toi, j’éviterais de parler d’accent… Et puis ensuite, Vincent, l’Amour, ça se commande pas, mon cher !
- Oui ça je sais, l’amour est aveugle.
- Voilà !
- Mais normalement le mariage rend la vue, hein !
- Quel bobet, décidément ! Allez, trinquons et parlons plutôt maintenant des belles paroles de Jésus que nos mariés ont choisies et que nous venons de réentendre.
- Alors ça, faut reconnaître qu’ils ont choisi un texte bien valaisan…
- Bien valaisan ? Va falloir que tu m’expliques, là !
- Le sel…
- Bah justement ! Les mines de sel sont à Bex. Bex, c’est sur Vaud !
- Mais le sel, Anne-Sylvie ! C’est sur les routes valaisannes qu’on le répand pour pas glisser en bas la dérupe ! Sur Vaud vous avez que des collinettes, pas besoin de sel.
- Alors déjà, va voir à Leysin ou aux Diablerets si on n’a pas que des collines mais aussi des rudes beaux bécquets ! Ensuite c’est pas vraiment l’idée que Jésus développe dans son texte, Vincent ! « Vous êtes le sel de la terre » c’est quand même pas pour parler de chasse-neige ou bien ! Le sel à quoi ça sert ? ça permet aux aliments d’avoir du goût. La nourriture ainsi n’est plus fade ni insipide. Les témoins de l’amour de Dieu, donc, c’est ceux qui permettent à notre monde d’avoir de la saveur, de pas avoir un goût de cendres, de lassitude ou de mort. Le sel, pour eux qui aiment bien cuisiner pis nous faire des bons petits plats au quotidien, on sait tous ici combien ça compte pour eux…
- Alors c’est sûr qu’on a toujours été bien reçus, chez ces deux-là… D’ailleurs plus un plat est salé plus on dit que le cuisinier est amoureux, n’est-ce pas…
- Ah ben tu vois ! Et puis dans l’Antiquité, le sel, c’était une denrée rare, précieuse. D’ailleurs notre mot « salaire », ça vient de là : les légionnaires romains, on les payait avec du sel qu’ils pouvaient ensuite échanger ou revendre très cher. Ca veut dire quoi ? Cela veut dire que les disciples de Jésus, particulièrement vous deux qui demandez la bénédiction aujourd’hui, vous êtes une réalité précieuse pour notre monde !
- D’accord, vu comme ça, le sel transcende les frontières cantonales. D’ailleurs le sel conserve. On l’a un peu vite oublié aujourd’hui. Mais il empêche les aliments de pourrir.
- Ah ben tu vois quand tu veux ! Autrefois, on conservait la viande, le poisson dans le sel. Le sel de la terre, c’est ce qui permettait de la maintenir dans un état satisfaisant.
- Comme la viande séchée du Valais.
- Mais c’est pas vrai, il ramène vraiment tout au Valais !
- Ah mais tous les chemins mènent à Varone, hein ! En même temps le sel, bah faut pas trop en mettre non plus. Quand y en a trop c’est pas tant bon ! C’est agressif, ça masque le goût de tout. Un peu comme ton Dégueulay, là…
- Dézalay, Vincent ! Tu vas pas me dire qu’il est salé, quand même ! Moi je te rappelle qu’un temps, en Valais, c’est pas du sel que vous ajoutiez au Fendant, c’était de l’antigel !
- Ouais alors bon, si tu vas par là… En même temps l’hiver tu mets du sel sur la route et de l’antigel sur les vitres, faut les deux !
- Mais goûte voir mieux que ça, s’il te plaît ! Tu trouves pas qu’il a un petit goût de noisette ?
- [il reboit] Alors plutôt de cannelle que de noisette…
- De CANNELLE ??
- Oui, la Cannelle à Nelson !
- Pardon ?
- Ouais, non mais c’est crétin je suis d’accord… Mais Noisette, Cannelle et Nelson, c’est leurs animaux de compagnie, tu sais bien !
- Alors ça, comment que je les oublierais ! Claudia et Jean-Sam, ils aiment tellement nos amis à quatre pattes !
- C’est sûr que quand t’as quatre pattes, tu dérapes moins en bas la dérupe, Cannelle, Noisette et Nelson, ils ont pas besoin de sel, du coup !
- Bon, je crois qu’on va laisser là le sel, les Amis, parce qu’on n’y arrivera pas ! Passons donc à la lumière. Jésus dit : « vous êtes la lumière du monde ! »
- Eh ouais ! Une des mentions explicites du Valais dans l’Evangile !
- Pardon ?
- Mais la lumière, Anne-Sylvie ! La lumière !
- Eh ben quoi, la lumière ?
- T’as vu la lumière qu’on se paie en Valais, 300 jours de soleil par année à Sierre, un ciel bleu que tu peux pas imaginer qu’il existe tant que tu l’as pas vu un jour !
- Mais t’as pas vu comme une mauvaise foi pareille que tu as ! Regarde comme il fait beau dehors aujourd’hui ! T’as vu ce ciel bleu sur le Léman ?
- Ouais mais bon… c’est pas le même bleu… le bleu vaudois il est bleu ciel… tandis que le bleu valaisan il est bleu roi, tu vois…
- Bleu-roi, bleu-roi, bleu-schtroumpf oui ! La lumière, elle est à tout le monde, Vincent ! Et puis de toutes façons, aujourd’hui, la lumière – regarde-les ! – c’est ce qui irradie de Claudia et Jean-Sam, c’est la lumière de leur amour !
- C’est vrai ! C’est vrai que y a de la lumière dans les yeux de notre Claudia quand elle regarde son Jules !
- Jean-Sam !
- Non moi c’est Vincent.
- Non mais lui, c’est Jean-Sam.
- Mais c’est une expression Anne-Sylvie ! Son Jules !
- Ah pardon. Oui mais d’ailleurs regarde ! Il y a la même lumière chez Jean-Sam quand il regarde sa blonde.
- Alors déjà Claudia, elle est pas blonde…
- Mais fais un effort, c’est une expression, Vincent !
- Bon bref : ils ont la lumière à tous les étages, notamment dans les yeux. Ce qui n’est pas tant bon non plus d’ailleurs : parce que quand t’as la lumière dans les yeux, ça éblouit.
- C’est important de laisser passer le temps où l’amour de l’autre nous éblouit tellement ! Et finalement on peut ouvrir les quinquets sur ses petits défauts, ses petits travers, ses petites manies, ces trucs avec lesquels on va devoir apprendre à vivre, et c’est ça aussi aimer tous les jours, c’est pas seulement se cocoler pis se tchuffer, tu vois !…
- Tu dis vrai, Anne-Sylvie ! Et puis ils peuvent être lumière l’un pour l’autre ! Ca permet de ne pas être seuls, la lumière de l’autre permet de se réchauffer à sa chaleur, elle permet aussi de vaincre contre l’obscurité de certains souvenirs cuisants ou de certains échecs douloureux.
- Ah ben tu vois, quand tu veux ! Tu deviens presque poète !
- Reste que Jésus parle quand même du Valais dans ce texte.
- Ah mais c’est pas vrai ! Quoi encore ?
- Il dit que la lumière, c’est pas fait pour être remisé dans l’armoire mais placé sur le lampadaire.
- Ok, et alors ?
- Mais juste avant il dit : « Une ville placée sur une haute montagne ne peut être cachée. » Tu vas pas me dire qu’il cause de Lausanne ou d’Yverdon, Anne-Sylvie ? Sur une HAUTE montagne ! Je crois que c’est clair, ou bien ?
- Incorrigible.
- Mais bon, on peut adapter à nos jeunes mariés…
- Vas-y alors !
- Une belle Claudia placée en-là sur la montagne ne pouvait pas être longtemps cachée avant que même un Vaudois ne la repère ! Du coup leur amour brille devant les hommes, comme le dit aussi Jésus dans cet Evangile !
- Moi je maintiens que Jean-Sam a aussi ébloui Claudia et que la douce lumière vaudoise vaut bien le soleil agressif du Valais !
- Si tu veux.
- Et puis de toutes façons, l’image que prend Jésus, elle est toute différente de ce que tu crois. Ce qui peut cacher leur lumière, c’est un seau, comme il est écrit dans la version que vous avez entendue. Un seau, Vincent.
- Un seau ? Comme un… comme un seau d’eau ?
- Mais non, plutôt comme un pot gradué ! En fait, dans le texte d’origine, on parle d’un boisseau. Un boisseau, ça a été traduit par « seau », parce qu’aujourd’hui, aucun de vous ici ne sait ce que c’est, un boisseau.
- Un boi-sseau, ben c’est un seau où tu bois !
- Ben non justement ! Un boisseau, c’est un pot. Un pot qui servait à mesurer le volume par exemple d’un sac de blé. Le boisseau, c’est le pot gradué de l’époque, en somme.
- Ah bon ! Alors si je comprends bien, ce qui pourrait finir par cacher la lumière de leur amour, c’est le jugement qu’on se porte l’un sur l’autre.
- Ouais c’est ça. Comme le jugement des Valaisans sur les Vaudois, tu vois !
- …
- Moi je dis ça, je dis rien !
- Non mais tu as raison, Anne-Sylvie. On peut mesurer la taille, la force de quelqu’un, on a vu comment, aux JO. On peut même peut-être mesurer son intelligence, ou sa culture. Mais il y a une chose qu’on ne peut pas mesurer, qu’on ne doit pas juger, c’est sa dignité, c’est la valeur de la personne en soi. Parce que pour Dieu, chaque être humain a de toutes manières un prix infini à ses yeux, quelle que soit sa grandeur du point de vue physique, spirituel, artistique, social, intellectuel, moral, que sais-je…
- Merci mon Dieu… il a enfin été touché par la grâce…
- Chaque être humain est d’égale dignité !
- …Quel que soit son canton d’origine.
- Absolument. D’ailleurs quand les anges ont complètement débloqué en créant le canton du Valais, le plus beau canton, le plus ensoleillé, le mieux habité, celui qui donne le meilleur vin, Dieu s’est mis en pétard ! Il leur a dit : « Mais comment on va équilibrer maintenant ? » Pis ils lui ont dit : « Mais t’inquiète pas, Père ! On a fait le canton de Vaud juste à côté ! »
- Bon ! Incorrigible tu resteras ! Mais, Chère Claudia, Cher Jean-Sam, que Dieu vous aide à être le sel de la terre, pour donner du goût autour de vous…
- … et qu’il vous aide à être la lumière du monde, pour vous éclairer mutuellement sans vous éblouir, et être un exemple pour les autres. Allez Anne-Sylvie… sans rancune… [lève son verre, s’arrête, regarde le verre…] C’est vrai qu’il a une belle lumière, ce vin, pour un Vaudois…
- [regarde Vincent] Et toi, pour un Valaisan, t’as de la lumière dans les yeux quand tu batoilles… Santé !
- [tous deux :] A la santé des mariés ! Santé ! AMEN !
Ils trinquent.
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Pully, samedi 21 septembre 2024, 14.00
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