Un mot de cinq lettres
Luc 17,11-19
Au volant, lorsqu’on approche d’un passage piéton, on s’arrête si quelqu’un manifeste l’intention de traverser. Mais peut-être vous est-il arrivé, dans le rôle du conducteur, de marmonner intérieurement (ou de pester extérieurement !), à l’adresse du piéton : « Il pourrait dire ‘merci’, quand même ! »
Un jour que j’avais marmonné cela un peu trop fort et que tout mon ressentiment avait dépassé mes lèvres, mon passager me dit, un peu choqué : « Il n’a pas à te dire ‘merci’, c’est la loi, c’est normal que tu te sois arrêté. »
Effectivement, c’est la loi, c’est normal, c’est la norme. C’est normal de laisser traverser quelqu’un, mais cela n’empêche pas de dire « merci ». Ce n’est pas parce que c’est « normal » que ça interdit de remercier, me semble-t-il.
Or peu à peu, insidieusement, on glisse dans cette conception fausse du remerciement et de la normalité. On ne remercie plus lorsque c’est normal. La caissière du supermarché fait son travail poliment ? C’est normal. Le serveur du restaurant nous a bien servis ? C’est normal. Le chirurgien vous a bien opéré, vous êtes guéri ? Encore heureux ! C’est normal. C’est son métier ! Le prêtre est là pour la messe ? C’est normal, il est payé pour ça !
C’est normal, il est payé pour ça !
« Il est payé pour ça… c’est son métier… manquerait plus que je lui dise merci… » Vous aussi, vous les entendez, ces phrases ? Vous les prononcez, peut-être ?
L’attitude de neuf des dix lépreux de l’Evangile de ce dimanche est identique. Ils sont guéris, normal, tout va bien. Il ne leur vient pas à l’idée de revenir pour dire « merci ». Un seul des dix revient pour dire « merci » à Jésus. Un seul, sur dix.
« Merci »… un petit mot de cinq lettres qui commence par les trois mêmes qu’un gros mot de cinq lettres qui sort plus souvent qu’à son tour de bien des bouches. Et gageons que, si l’on a déjà de la peine à dire ce mot aux autres, il nous sera encore plus difficile de le dire à Dieu.
Depuis quand n’avons-nous pas dit « merci » à Dieu ? Le pape François apprend aux enfants à le faire chaque soir, avec les trois petits mots de la prière quotidienne : « Merci… Pardon… S’il te plaît… » Et si « Merci » vient en tout premier, ce n’est pas un hasard. La gratitude prime. Y compris sur le pardon. A fortiori sur la demande.
Est-ce si difficile de trouver des raisons de remercier le Ciel à la fin d’une journée ? Même dans la pire d’entre elles, il se trouve au moins quelque chose qui puisse nous inspirer de la gratitude.
Or, c’est au lépreux guéri qui revient lui dire « merci » que Jésus dit « Ta foi t’a sauvé. » Et si un simple « merci » à Dieu pouvait changer le cours de nos vies, guérir nos lèpres intérieures ? Ce serait vraiment trop bête de ne pas essayer, vous en conviendrez…
Vincent Lafargue
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