Photo libre de droits : publicdomainpictures – George Hodan
Homélie pour le 23e dimanche TO, année B
Isaïe 35,4-7a / Psaume 145 / Jacques 2,1-5 / Marc 7,31-37
> Une homélie n’est faite ni pour être lue ni pour être vue en vidéo, c’est un exercice oral. Vivez l’expérience pleinement en l’ECOUTANT :
Chers Amis,
A entendre ces textes, vous vous dites peut-être que les miracles dont ils parlent… on ne les voit pas tous les jours ! Un aveugle qui voit, un muet qui parle, un sourd qui entend, un boiteux qui marche normalement… ça arrive hein, encore aujourd’hui, les miracles… mais enfin c’est relativement rare, on est bien d’accord !
Mais… qui est aveugle ? …qui est sourd ? …qui est muet ? …qui est boiteux ? …Je laisse cette question en suspens et je vous raconte une petite histoire.
Dans un de ces jeux de société bien connu où l’on doit dessiner un mot et le faire deviner aux personnes qui sont autour de nous, un petit enfant a reçu comme mission de dessiner un muet et de dessiner un sourd.
Pas facile, hein ! Posons-nous la question : comment est-ce qu’on aurait dessiné ça, nous ?
Le petit enfant a d’abord dessiné un tout petit personnage. Et puis ensuite un très grand personnage. Et il s’est arrêté.
Quand on lui a demandé d’expliquer son dessin, ce qu’il avait voulu dessiner – parce que, bien sûr, son équipe n’avait rien compris – on a été très surpris…
« Le muet, a dit l’enfant, il est tout petit, il est comme moi… c’est un enfant. Et le sourd, c’est une grande personne. »
Et devant l’auditoire ébahi, il a poursuivi :
« Parce que les enfants… on n’a pas le droit à la parole. Et parce que, de toutes façons, les adultes n’écoutent jamais. »
Intéressant…
Surtout quand on se souvient que le mot « enfant » vient du latin « infans », « celui qui ne parle pas »… ça vient de loin, hein… que les enfants n’ont pas le droit à la parole. Ça vient de loin !
Alors je ne dis pas, Chers Amis, qu’il faut écouter et appliquer systématiquement tout ce que nous disent les enfants !
Si on leur passait chacun de leurs caprices, on créerait un monde d’enfants-rois… on en connaît quelques-uns… c’est pas toujours beau à voir !
Je ne dis pas non plus, à l’inverse, que les adultes n’entendent jamais ce que disent les enfants. Dieu merci. Il y a des parents, des grands-parents parmi vous et j’espère bien que vous écoutez ce que nous disent nos enfants, nos petits-enfants.
Mais tout de même… je me dis que, parfois, les adultes – et je m’inclus dans le lot ! – les adultes me semblent entendre leurs propres désirs et masquent la réalisation de ces désirs derrière de soi-disant bonheurs d’enfants auxquels, en réalité, on n’a jamais donné la parole pour connaître leur avis.
Avez-vous souvent vu, vous, un enfant interrogé par les médias sur tel ou tel sujet d’actualité ? Ou en vue de telle ou telle votation ?
Moi non.
On interroge les adultes, on fait des sondages… alors pour ça, on est très-très forts !
Mais qu’est-ce que ça donnerait si on interrogeait un jour les enfants ?
On nous dit savoir ce qu’ils pensent. Les deux camps, d’ailleurs, de tel ou tel projet de loi prennent parfois en otage l’intérêt suprême de l’enfant… et même parfois on vote en leur nom.
Mais est-ce qu’on leur donne la parole pour avoir la moindre idée de ce qu’ils pensent, eux ?
Peut-être qu’on a peur de ce qu’ils pourraient nous dire… Peut-être qu’on a peur de découvrir qu’on est le grand personnage, sur le dessin, celui qui n’entend pas… Alors ce sont nous, les sourds. Et aveugles, parfois, aussi, du coup.
Nous tombons, il faut bien le reconnaître, sous le coup de ce que nous expliquait Jacques, dans la deuxième lecture : nous jugeons sur les apparences. Si ça, ce n’est pas être aveugle, qu’est-ce donc ?
L’expérience des « camps vocations », Chers Amis, ce sont ces séjours magnifiques organisés en Suisse Romande pendant lesquels on amène les jeunes à réfléchir à leur vocation – parmi toutes les vocations, pas seulement les vocations religieuses, époux, épouse c’est une vocation – l’expérience de ces camps pendant des années m’a appris au moins une chose : il faut absolument donner la parole aux enfants et aux jeunes.
Parce qu’ils ont BEAUCOUP à nous dire. Ils parlent souvent très-très bien de Dieu, pour peu qu’on les laisse parler… ils parlent souvent très-très bien de l’Amour pour peu qu’on les laisse en parler. Est-ce qu’on ne parle bien que de ce que l’on connaît ? Ben la preuve que non !
Pourquoi ne parleraient-ils pas bien d’autres sujets très importants ? Pourquoi ne leur donnons-nous pas la parole ?
Et ensuite, une fois qu’on les a entendus, évidemment il ne faut pas balayer du revers de la main ce qui ne nous revient pas dans ce qu’ils ont dit, ce qui nous semble inapproprié !
Parce que ce sont eux, les adultes de demain. Nos décisions d’aujourd’hui, c’est eux qui devront en porter le fardeau demain.
Ce n’est pas pour rien, je crois Chers Amis, que l’une des plus redoutables colères de Jésus concerne le jour où l’on a voulu écarter de lui des enfants qui voulaient venir jusqu’à lui.
On retient toujours la colère des « marchands du temple »… mais cette colère-ci était redoutable aussi !
« Laissez venir à moi les enfants ! » disait Jésus… « Le Royaume des Cieux est à ceux qui leur ressemblent ! »
Sous-entendu pas à nous, hein, du coup !
Ce messie qu’annonçaient les prophètes, qu’annonçait le prophète Isaïe dans notre première lecture, celui qui allait ouvrir les yeux des aveugles, faire entendre les sourds, faire marcher les boiteux, faire parler les muets, ce messie, c’est Jésus, nous le savons bien !
Et l’Evangile confirme cela : oui, il ouvre les yeux des aveugles, il fait parler les muets il fait entendre les sourds, oui, c’est bien lui !
Mais à chaque fois que je relis ces textes, je me pose encore et toujours la question : qui est-ce, l’aveugle ? Qui est-ce, le sourd ? Ne serait-ce pas moi… parfois… souvent ? Et si le sourd c’était l’adulte ? Et si le muet c’était l’enfant ?
Jésus, alors, serait là aussi, aujourd’hui, pour m’ouvrir les yeux, moi l’aveugle, sur la réalité qui m’entoure… pour m’aider, moi le sourd, à entendre ceux à qui on ne donne jamais la parole, et pour donner la parole à ces plus petits qui sont ses frères…
Donnons la parole à nos enfants, Chers Amis… de toute urgence ! Ça commence à la table de nos maisons, dans nos fêtes de famille… Ça commence par ne pas dire : « Oh ça, c’est une discussion d’adultes ! »… avec un regard un peu méprisant, vous savez ?
Donnons-leur la parole dans notre quotidien, écoutons ce qu’ils ont à nous dire !
Peut-être qu’alors un jour, dans quelques années, quand on demandera à un enfant de dessiner un muet, il dessinera une grande personne avec de grandes oreilles, parce qu’enfin les adultes auront appris à se taire et à écouter ce que les plus petits ont à leur dire.
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Les Diablerets, samedi 4 septembre 2021, 18.00 (version enregistrée)
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