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Homélie pour le 7e dimanche TO, année C
1Samuel 26,2.7-9.12-13.22-23 / Psaume 102 / 1Corinthiens 15, 45-49 / Luc 6, 27-38
> Une homélie n’est faite ni pour être lue ni pour être vue en vidéo, c’est un exercice oral. Vivez l’expérience pleinement en l’ECOUTANT :
Chers Amis,
Tout récemment encore une personne me pose cette question redoutable au sujet du pardon : « Je n’arrive pas à pardonner. Parce que je n’arrive pas à oublier ce que m’a fait cette personne. Comment faire ? »
…Je n’arrive pas à pardonner PARCE QUE je n’arrive pas à oublier…
Trop souvent, Chers Amis, nous relions ensemble ces deux verbes, « pardonner » et « oublier », comme si l’un était nécessaire à l’autre. Nous les subordonnons l’un à l’autre. On ne pourrait pardonner, ainsi, que si l’on arrive à oublier. C’est faux et c’est une erreur redoutable qui nous empêche de pardonner très souvent.
Parce que pardonner ne signifie en aucun cas oublier, pardonner ne suppose pas d’oublier.
Pour illustrer tout cela, parce que souvent, une image vaut mieux que mille explications, prenez un torrent de nos montagnes, un bon torrent, genre le Durnand en-bas, dans les gorges.
Deux personnes se sont fait du mal l’une à l’autre. Elles ont été violentes. Il y a eu des mots terribles, peut-être même des actes épouvantables. Cela a creusé la gorge. Et le torrent, maintenant, y dévale en roulant ses cailloux, en faisant un bruit de tonnerre. Chacune des deux est sur une rive, l’un d’un côté et l’autre de l’autre côté.
Le torrent fait un bruit assourdissant. Ces deux personnes ne peuvent plus s’entendre, au propre comme au figuré. Et ce torrent infranchissable, on ne peut pas passer à pied sec, c’est impossible. Le courant est trop fort.
On se dit que plus jamais ces deux personnes ne pourront se retrouver.
Pardonner, c’est décider de construire un pont sur le torrent.
C’est d’ailleurs précisément l’un des sens du mot pardonner. Si vous y réfléchissez, dans ce mot, vous entendez le verbe « donner »… mais il y a la préposition « par », il s’agit de donner par-dessus ce qui nous a séparé.
Choisir de passer par-dessus, par-donner, construire un pont.
Est-ce pour autant oublier ? Autrement dit, est-ce que ce pont va supprimer le torrent ? Évidemment que non ! Le torrent sera toujours là, le pont ne supprime pas ce qui a été creusé. Il ne s’agit pas d’oublier, il s’agit de passer par-dessus.
On va choisir de construire ce pont. Et là encore, l’image est intéressante parce que si vous construisez un pont et que vous ne vous y mettez que d’un côté, votre pont arrivé au milieu va tomber. Il faut s’y mettre ensemble, pour construire un pont. Sans quoi. Impossible de traverser.
C’est bien sûr, certainement, l’un des deux protagonistes qui va commencer. Et souvent alors, parce qu’un pas a été fait, l’autre pourra faire un pas. Et on pourra se retrouver plus ou moins au milieu une fois le pont construit.
Peu importe qui prend l’initiative de construire le pont, l’important, c’est de le construire.
Une fois terminé, le pont va permettre aux deux personnes de se retrouver et de traverser. Mais vont-elles s’entendre pour autant ? Non, le torrent est toujours là, il fait toujours son bruit assourdissant. Il est impossible de s’entendre au milieu du pont, ce n’est qu’un passage, un passage obligé, mais pour aller plus loin.
Vous voyez, Chers Amis, on peut pardonner sans oublier. C’est même nécessaire je crois. C’est une première étape.
Que se passerait-il si chacune de ces deux personnes attendait au bord du torrent que le torrent soit enfin à sec pour traverser ? Elles peuvent attendre longtemps ! On peut attendre toute une vie comme ça… et on meurt bêtement en n’ayant pas pu pardonner. Parce qu’on n’a pas construit ce pont qui n’attendait que notre bonne volonté, que la première pierre.
Qui plus est, une fois construit, ce pont va rester. Il va donc servir à d’autres personnes, d’autres personnes qui elles aussi voudraient traverser cette gorge et n’y arriveraient pas sans ce pont.
On sait bien que lorsqu’on se déchire entre deux personnes, ça crée des dommages collatéraux. Il y a d’autres personnes qui se déchirent aussi, il y a des clans qui se forment.
Construire le pont, c’est permettre à toutes ces personnes de se retrouver et de traverser.
Dans notre première lecture, Chers Amis, force est de constater que David a de sacrées bonnes raisons d’en vouloir à son ennemi juré, Saül. Je ne vous fais pas tout l’historique, mais il a des raisons violentes d’en vouloir à son ennemi !
Et son ennemi est livré, là, devant lui. Il dort avec sa lance à côté de lui. Il serait facile de prendre la lance et de le tuer. On l’incite même à le faire, vous l’avez entendu.
Et vous l’avez entendu aussi, que fait David ? Il prend la lance, mais il l’emporte avec lui. L’air de dire : « Regardez, j’aurais pu le tuer, j’aurais pu me venger, je choisis de ne pas le faire. »
C’est la première étape du pardon qu’on oublie souvent : la non-vengeance, le désir dans notre cœur de ne pas se venger.
Alors que c’est très humain, le désir de vengeance ! On vous met une claque, vous n’avez qu’une envie c’est d’en remettre une à l’autre. Enfin je ne sais pas vous, mais moi en tout cas ça m’arrive d’avoir ces envies-là.
La première condition à la construction du pont, c’est de renoncer à cela. C’est la non-vengeance. Dire : « Non, je ne répondrai pas à cela. Je ne veux pas élargir encore le torrent. »
Le deuxième pas est plus compliqué. C’est Jésus qui nous le proposait dans l’Evangile : aimer la personne qui nous a fait du mal, aimer notre offenseur.
Parce que si vous détestez toujours la personne qui est de l’autre côté du torrent, jamais vous n’allez construire ce pont, jamais ! Et si c’est elle qui commence à le construire et que vous la détestez toujours, vous allez partir en courant, vous n’allez pas construire l’autre partie.
Deuxième condition à la construction du pont, donc : aimer la personne.
Alors là, attention ! Aimer, c’est pas forcément ce que l’on pense. L’amour a de nombreux stades. Vous savez qu’en français, on aime notre épouse, mais on aime le chocolat aussi ! C’est le même verbe… pourtant c’est pas tout à fait le même amour ! Enfin j’espère !
Donc en français, quand on dit « aimez vos ennemis », c’est pas forcément les aimer au point d’aller les embrasser. Non ! Il y a des étapes… Aimer notre ennemi, c’est déjà, on l’a vu, ne pas vouloir se venger. Et puis aimer notre ennemi, c’est lui vouloir du bien.
Et là encore, attention ! Ce n’est pas tout de suite lui FAIRE du bien. C’est lui VOULOIR du bien.
Si quelqu’un m’a fait du mal, je ne souhaite pas nécessairement que le ciel lui tombe sur la tête. Je souhaite que cette personne aille mieux. Peut-être qu’il y a de nombreuses choses qui l’ont poussée à me faire ce mal. Eh bien que cette personne chemine ! Qu’elle aille mieux qu’elle change son cœur ! Je lui souhaite du bien !
Vouloir le bien de l’autre, c’est la deuxième étape pour construire le pont.
Et au passage, Chers Amis, je vous signale que le Christ sur la croix n’a jamais dit : « Je vous pardonne. » Il a dit : « Père, pardonne-leur ! » C’est pas tout à fait la même chose, hein ! Peut-être que lui aussi n’en était qu’à cette deuxième étape. Il ne pouvait pas dire à ses tortionnaires : « Je vous pardonne. » Alors il a dit : « Père, pardonne-leur ! »
Si à chaque fois que nous n’arrivons pas à pardonner à quelqu’un, nous arrivons déjà dans notre cœur à dire : « Père, pardonne à cette personne ! », nous faisons des pas de géant dans la construction de ce pont. C’est ça, souhaiter du bien à notre ennemi ! Père, pardonne-lui, moi je n’y arrive pas encore, mais toi, fais-le et aide-moi à faire ce chemin ! »
C’est cette deuxième étape qui va permettre la troisième, la construction du pont.
Et lorsque nous aurons construit puis traversé ce pont, je vous l’ai dit, rien ne sera terminé, car le torrent fait toujours du bruit.
Il sera toujours là, il faudra nous éloigner de ce pont ensemble, devenir des êtres spirituels, l’un et l’autre. Nous n’aurons pas oublié le mal qui nous a séparés, nous l’aurons simplement dépassé.
Nous aurons changé les ténèbres de nos cœurs en lumière.
C’est exactement ce que nous suggérait la deuxième lecture : devenir des êtres spirituels, ne pas nous arrêter aux réalités charnelles de notre terre, ne pas nous arrêter au mal qui a été fait, pouvoir le dépasser, l’illuminer dans notre esprit.
Quand nous construisons le pont du pardon, Chers Amis, nous devenons ces êtres spirituels dont nous parlait Paul dans cette deuxième lecture. Nous ne sommes plus le vieil Adam, nous sommes des êtres de lumière, à la suite du Christ, lorsque nous pardonnons. Nous devenons cet être spirituel qui nous est promis.
Alors chers amis, je ne sais pas où en est la construction de vos ponts, car comme moi j’imagine que vous en avez certains à construire et que, peut-être, il y en a qui sont déjà en cours…
Mais dépêchons-nous de commencer ceux qui ne sont pas encore en construction. Dépêchons-nous d’achever ceux qui sont en train d’être construits. Pardonner, ce n’est jamais oublier, c’est simplement aller ensemble tellement, tellement plus loin.
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Champex-Lac, 22 février 2025, 17.00 (version enregistrée)
Aigle, 23 février 2025, 10.00
et, dans une version différente, jadis :
Leysin-Igloo, dimanche 20 février 2022, 9.00
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