Lettre à mon Papa… et à tant d’autres !

Classé dans : Homélies, Méditer | 3
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Chers Amis,

J’aimerais vous parler quelques instants de mon Papa. Il vit à Genève et il a atteint l’âge respectable de 90 ans.

Mon Papa n’a pas fait de grandes études. Il était horloger-rhabilleur, de métier. Il a eu la chance de travailler toute sa vie active, comme on dit, chez Patek-Philippe à Genève, la seule manufacture horlogère au monde qui garantit la réparation de toutes ses montres, quelle qu’en soit l’âge ! Et comme simple ouvrier de cette grande maison, mon Papa a eu dans ses mains des montres qui valaient le salaire de toute sa vie.

Son travail était de les réparer, pour leur propriétaire, un prince saoudien, un richissime chef d’entreprise, une princesse de là-bas, comme on dit.

Il le faisait avec joie, parce qu’il y a une grande fierté à se sentir utile, à savoir faire ce que l’on a appris à faire, tout simplement. Une grande fierté aussi – et surtout ! – à éviter qu’un objet ne meure. TOUTES les montres de cette maison sont réparables.

C’est d’autant plus important aujourd’hui, Chers Amis. Car, vous le savez : on ne répare quasiment plus rien. Dans notre société occidentale, on jette et puis on rachète.

A tel point que cela coûte souvent moins cher de racheter le nouveau modèle plutôt que d’essayer de réparer l’ancien ! C’est absurde, quand on y pense !

On appelle ça la société de consommation. Et on est en plein dedans : même quand on aimerait réparer quelque chose, on nous en dissuade.

Le problème, c’est que cette culture du déchet vient lentement mais sûrement s’appliquer non seulement aux objets mais aux personnes.

Mon Papa a 90 ans. Il est atteint dans sa santé, il ne conduit plus, il peine à marcher, il ne peut plus aller à la messe, il la regarde à la télévision et moi je lui apporte la communion, le dimanche, quand je peux. Il est très fatigué, il lui arrive de se sentir inutile, plus bon à rien. Il lui arrive de penser qu’il serait bon qu’il s’en aille.

Et je rencontre beaucoup de personnes comme ça à l’hôpital. Elles ne sont pas spécialement en fin de vie, ces personnes. Mais tout, autour d’elles, dans la société, leur montre que… elles ne sont plus très utiles et elles coûtent très cher alors… faudrait penser à s’en aller !

Un médecin – un médecin ! – m’a même dit cela tout récemment, au sujet d’une personne de 89 ans qu’on venait d’opérer du dos : « Quel luxe, me dit-il, que d’argent dépensé pour les quelques années qu’il lui reste à vivre… vous croyez pas que… ? »

…trois petits points.

Et dans les trois petits points qui suivaient sa phrase, il y avait l’innommable, comme pour un objet : « Vous croyez pas qu’il faudrait le jeter et en racheter un plus moderne ? »

Nous devons, Chers Amis, absolument retrouver le sens d’une des plus fortes paroles de la Bible, une parole que nous avons entendue ce soir dans nos lectures. Une parole qui se trouve dans la deuxième lecture, la seconde lettre que Paul a écrite aux Chrétiens de Corinthe jadis.

« C’est lorsque je suis faible qu’alors je suis fort. »

…C’est lorsque je suis faible qu’alors je suis fort. » Quand on entre dans n’importe quelle église, on le voit : c’est dans sa faiblesse absolue sur la croix que le Christ est le plus puissant. Et si nous avons ce symbole sous les yeux, ce n’est pas pour rien !

…C’est lorsque je suis faible qu’alors je suis fort. » Cette parole est gigantesque et elle est prophétique pour notre monde occidental qui a de la peine à l’entendre !

Nos personnes du 3e et du 4e âge ne sont pas vieilles, je le dis souvent, elles sont jeunes depuis plus longtemps que les autres, c’est tout ! Elles ont donc acquis une expérience, un savoir… un savoir-faire, certes, mais un savoir-vivre aussi, que les jeunes n’ont pas eu encore le temps d’amasser, d’accumuler.

Elles en sont d’autant plus respectables et nous devons le leur rappeler. Et je le rappelle aux personnes parmi vous qui sont jeunes depuis plus longtemps que les autres.

Nos seniors – comme on dit – ont une immense valeur. Immense ! Ne laissez pas la société vous dire le contraire !

Préférons-nous laisser à nos enfants une société où l’on mettrait en avant le profit, la performance, les qualifications, le savoir-faire… ? Toutes choses importantes, certes… mais est-ce vraiment cela que nous voulons mettre en avant ?

Ou peut-être commençons-nous à comprendre l’importance de prendre soin du plus petit, du plus faible, du moins performant, du moins qualifié, mettant en avant non pas le savoir-faire mais le savoir-vivre ?

Souvenons-nous, par exemple, qu’en montagne, on règle toujours son pas sur la personne la plus lente du groupe… il ne nous viendrait pas à l’idée de foncer en la laissant au bord du chemin ! Non, précisément on règle notre pas sur elle, pour aller à son rythme.

Si j’avais essayé d’expliquer ça au médecin en question, qui gagne dix fois mon salaire, je n’aurais recueilli que du mépris.

Par contre, si j’allais le dire en Afrique, on me dirait que j’ai bien raison. Là-bas, lorsqu’une personne qui a atteint un âge respectable vient à mourir, vous le savez : on dit que c’est une bibliothèque qui brûle, avec tout ce que cela comporte de dramatique. On respecte les ancêtres, vivants comme morts, parce qu’ils sont des lumières sur notre chemin.

Mais ici, en Occident, nous prêchons un peu dans le désert quand on essaie d’expliquer cela. L’Evangile, d’ailleurs, nous le rappelait : un prophète n’est méprisé que là où il vit.

Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas le dire ici, ce n’est pas pour autant qu’il faudrait se taire ! Nous avons à enseigner à nos jeunes la valeur immense de la faiblesse, la joie de réparer plutôt que de jeter, la dignité infinie de leurs grands-parents, de leurs arrière-grands-parents.

Nos jeunes ont parfois déjà le visage de la société, le visage dur et le cœur obstiné dont parlait le prophète Ezékiel dans la première lecture.

Parce qu’ils vivent dans un monde qui tend à leur montrer que la performance est reine.

Mais c’est à nous de leur prouver que ce n’est pas le cas. La sagesse est reine et le sera toujours. Le savoir-vivre et le savoir-être seront toujours vainqueurs du savoir-faire.

Mon Papa chaque semaine écoute mes homélies sur internet, sur ma chaîne YouTube.

Ce dimanche, demain, avec ma Maman, ils célèbrent leurs 68 années de mariage. Vous ne croyez pas qu’ils ont deux-trois trucs à apprendre aux jeunes qui pensent divorcer après deux ans seulement ?

Alors, parce que je sais que mon Papa écoutera aussi cette homélie, je vais terminer en lui parlant à lui :

  • « Non Papa, tu n’es pas inutile ! Tu es précieux. Infiniment. Tu es digne, comme chaque être humain, aussi respectable, aussi fragile que le petit bébé qui vient de naître, aussi digne d’amour que les jeunes mariés au soir de leurs noces, aussi essentiel à notre monde que des dizaines de bibliothèques. Tu as passé toute ta vie professionnelle à démontrer aux gens qu’un objet pouvait être réparé et ne devait pas être jeté et remplacé. Ne laisse jamais personne te dire le contraire, te concernant. Je t’aime, Papa. »

Et quant à vous, Chers Amis, si autour de vous, vous connaissez des personnes en grand âge – ou que vous prenez cela pour vous – des personnes qui se sentent inutiles, plus bonnes à rien, qui ont l’impression de peser sur la société ou sur leurs proches, s’il vous plaît, imprimez cette homélie et portez-la leur.

Et puis mettez dans un cadre, chez ces personnes qui se pensent inutile, cette phrase de Paul : « C’est lorsque je suis faible qu’alors je suis fort. »

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Bex, samedi 6 juillet 2024, 18.00

Les Plans sur Bex, dimanche 7 juillet 2024, 11.45

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3 Responses

  1. Marie-Claire

    Merci Vincent pour cette belle homélie.
    Je te rejoins complétement sur cette vision des situations des personnes âgées , tout comme des personnes malades!
    On coûte…. à la société! Le plus terrible c’est quand on nous le fait sentir, ou quand l’on nous dit que si nous sommes malades c’est que nous avons du bénéfice à la situation!!!
    Quel bénéfice? La douleur? les diminutions? Le manque d’autonomie? La mise à l’écart?

    Dans mon cas, je dirai que ma situation me rapproche encore plus de Christ. Lui peut me comprendre, Il sait ce que je traverse, Il m’épaule, me soutient, Il me donne la force de continuer le chemin.
    Sur ma route il y a aussi de très belles personnes qui ne jugent pas, qui me soutiennent, qui m’écoutent, qui m’encouragent! Elles sont rares, et, d’autant plus précieuses!

    Comme tes parents doivent être fiers et heureux d’avoir un fils comme toi, cher Vincent!

  2. Lafargue robert

    Cher.vincent,
    Je viens de lire le texte magnifique ci-dessus sur ton pere et sur la vie en general. Je l’ai aussi lu a Genevieve qui, comme.moi a trouve ton texte tres beau et tellement vrai dans l’impression profonde ressentie que nous vivons dans un monde deshumanise, rien ne compte que l’argent et la gloire…quelle erreur, tu le sais bien, il y a tellement de belles choses que les « anciens » ont vecu sans en faire un cordon de medailles et de « moi je…. » tu me connais assez pour me comprendre. Merci mille fois pour cette lecon d’humilite. On t’embrasse et a bientot.
    Merci de nous avoir donne la date des 68 printemps de mariage de mon grand frere, et de ta maman je leur passerai un petit coup’de fil dimanche

  3. Sylvie Bricet

    Bonjour vincent

    Je viens de lire votre texte, qui et tellement parlant pour moi.et sublimement écrit.
    Je vous rejoint à 100 %, et profite de vous dire merci, et que j’ai souvent une pensée pour vous.

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