Einsiedeln 2024

Photo : les pèlerins jurassiens à Einsiedeln, le 10 juillet 2024 (V.Lafargue)
  • 7 répliques de Louis de Funès dans un seul de ses films (répliques en gras ci-dessous, tirées du film « Les Grandes Vacances ») Admirez les premières notes d’orgue à la fin de l’homélie : l’organiste avait pour mission de repérer le film en question en d’improviser sur la musique.
  • 5 mots choisis par les jeunes du pèlerinage, en gras italique ci-dessous : « Big-Mac XXL double cheddar », « Paracétamol », « Hémiole », « Drosophyla melanogaster », « Réfrigérateur »

Chers Amis Pèlerins du Jura Pastoral,

Venir jusqu’ici, à Einsiedeln, ça fait un sacré bout depuis le Jura, n’est-ce pas ! Mais s’il vous prenait l’envie de monter jusqu’au Grand Saint Bernard, faites-moi confiance, il faudrait rajouter un sacré bout en plus !

Surtout si vous décidiez d’y aller en hiver. Et l’hiver est long, là-haut : d’octobre jusqu’au mois de mai, il vous faut chausser les skis et mettre les peaux de phoque pour vaincre la montagne et parvenir à 2469 m. d’altitude, un peu fatigués, et peut-être avec le mal de crâne des montagnes.

Saint Bernard n’avait pas inventé le paracétamol, mais on le connaît aujourd’hui donc sur ce point, ce sera vite passé.

En arrivant là-haut, la tempête de neige ou le vent vous accueilleront en premier avant que vous ne puissiez passer même la porte de l’hospice. Une fois à l’intérieur, alors… que faire ? Se coucher. Pour un sommeil réparateur.

Mais avant, en entrant, vous verrez la devise des chanoines qu’ils empruntent à St Bernard : « Ici le Christ est adoré et nourri. »

Je vous rassure, même si les chanoines pratiquent régulièrement l’adoration eucharistique, ils ne déposent pas de nourriture pour autant aux pieds du Christ sans cela on se croirait dans un temple hindou et vous vous écrieriez sûrement devant cette nourriture offerte au pied de l’autel : « Ah, ça c’est étonnant ! »

Non. Quand on dit que le Christ est adoré et nourri, là-haut, c’est en chaque pèlerin, en chaque voyageur, en chaque invité, en chaque hôte de passage qu’il est adoré et nourri.

C’est vous, le Christ, lorsque vous arrivez à l’hospice du Grand Saint Bernard.

Et cela peut sembler très intimidant ! Vous vous dites : « Moi, je ne suis pas le Christ ! On ne mérite pas autant d’honneurs ! »… on a envie de dire aux montagnes : « Cachez-nous ! » comme le disait le prophète Osée dans notre première lecture. Mais j’aime mieux vous dire que là-haut, on est vraiment aux petits soins pour les hôtes de passage, on est bien nourris.

Certes, vous ne verrez pas les chanoines tirer de leur réfrigérateur du foie gras, des huîtres, ni même un Big Mac XXL double cheddar, non, c’est pas le genre ! Mais une bonne soupe de chalet vous attendra toujours, multipliable à souhait selon le nombre de pèlerins.

Et suivant les jours, lorsque l’hospice est complet, on en viendrait même à dire au Prieur qui parvient à nourrir tout le monde : « Un tel taux de réussite, c’est un exploit » et il vous répondrait : « Non, Monsieur, c’est une tradition ! »

La tradition de l’hospitalité montagnarde est bien connue.

Mais celle des fils spirituels de St Bernard mérite d’être connue beaucoup plus loin encore à la ronde.

Il y a là un paradoxe intéressant : plus on s’élève, plus on marche vers les hauteurs, plus on découvre l’humilité, les gens qui s’abaissent devant vous comme devant Dieu et devant les montagnes.

Et ça, je suis certain que – parmi nous – nos jubilaires le vivent exactement de la même façon non pas en hauteur mais en longévité. Plus on dure, plus cela force l’humilité. Plus il y a de bougies sur le gâteau de mariage, plus on a envie de dire : « Mais qui sommes-nous pour mériter autant d’honneurs ? »

Il en va de même, d’ailleurs, pour nous les ministres ordonnés : plus on avance dans notre ministère et plus on se fait humbles devant la tâche incroyable qui nous a été confiée.

Alors on célèbre, bien sûr. On fête les années qui passent ! On est là précisément pour cela, aujourd’hui à Einsiedeln. Et j’aime mieux vous dire qu’on sait célébrer dans ce pèlerinage. Avec Big François aux grandes orgues, ça va balancer dur, tout à l’heure ! Avec ou sans hémiole, d’ailleurs, faites-lui confiance !

Mais le mouvement premier de tout cela, c’est l’humilité. On n’a rien fait de spectaculaire quand on accumule le nombre des années. On a juste construit sur des valeurs solides, plutôt que sur de l’éphémère.

C’est la leçon de l’Evangile de Matthieu que nous venons de réentendre : la maison bâtie sur du sable s’écroule. Et Dieu sait si les laves torrentielles, en ce moment, ça nous parle dans notre pays ! « La pluie est tombée, les torrents ont dévalé… » on voit bien de quoi il s’agit !

Mais la maison bâtie sur le roc tient bon, elle. Peu importe qu’elle un toit de bardeaux ou de tuiles, d’ardoise ou de bois, peu importe la couleur de ses murs.

C’est la solidité de ses fondations qui compte. Et sûrement aussi que, dans ces fondations solides, il y a les valeurs des habitants de cette maison.

Sur le lac, quand survient la tempête, même principe : peu importe que votre bateau ait de grandes voiles rayées rouges et noires ou un vieux moteur diesel, l’important c’est d’abord la solidité de la coque et les valeurs de l’équipage.

Votre jubilé, Chers Jubilaires qui êtes parmi nous, c’est à vos valeurs que vous le devez !

C’est parce que vous avez construit sur le roc. Pas le rock n’roll, pas la musique des concerts, les guitares électriques, les perruques et autres hystériques, non le roc, le rocher. Le roc de la montagne. Cela nous ramène à Saint Bernard.

Marcher vers les hauteurs, c’est marcher sur le roc, c’est marcher dans la durée.

En montagne aussi, on peut être tenté de s’arrêter juste après la première difficulté, s’asseoir dans l’herbe – se mettre à faire un bel herbier pourquoi pas – plutôt que de poursuivre la marche.

Et on en connaît tant, de ces couples qui se sont arrêtés à la première difficulté. Ne les jugeons pas, aidons-les, prions pour eux. Mais sachons donner en exemple à nos jeunes ce qui dure.

Sachons leur redire que l’engagement à vie ce n’est pas impossible, c’est exaltant et ça rend la vie tellement, tellement plus belle. Tant l’engagement dans le mariage que l’engagement dans les ordres, d’ailleurs. Ni Antoine ni moi ne vous dirons le contraire.

Pour y parvenir, inutile de se contraindre : on n’y arrivera pas par force ! L’amour par la force n’a aucun sens, on le sait bien ! On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre… La mouche à vinaigre, son petit nom c’est drosophyla melanogaster, je le signale au passage, comme ça on se couchera un peu moins ignorants ce soir.

Mais c’est vrai : on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, on n’aime pas par force. On n’obtient rien par la force.

La force doit être dans la solidité de ce qui nous unit.

Ce n’est pas notre amour qui doit être fait de force, mais ses fondations. Il faut construire sur le roc. Il faut oser à la fois construire une vie sur des valeurs solides et oser aussi s’aventurer en terrain hostile.

Exactement comme le voyageur qui grimpe au col du Grand Saint Bernard.

Alors, Chers Amis Jubilaires parmi nous, BRAVO ! Bravo d’avoir construit sur le roc, bravo pour la durée de votre engagement, bravo pour l’exemple que vous donnez !

Et à vous, les jeunes, tout à l’heure lorsque nos jubilaires seront là, regardez-les. Regardez-les bien ! Et dites-vous : « C’est POSSIBLE. C’est possible si je prends Jésus avec moi dans l’aventure de ma vie. Quelles que soient les tempêtes, les torrents qui dévaleront, les pluies, le vent… ma maison sera solide si je la construis sur le roc qu’est le Christ. »

Comme le disait le prophète Osée dans la première lecture : « Faites des semailles de justice », c’est-à-dire semez la justice autour de vous, et alors, il le disait aussi, vous récolterez « des moissons de fidélité ».

Et la fidélité permet de tenir des années, des décennies, de s’aimer pour toujours… et toujours dure longtemps !

Mais d’ici-là, vous les jeunes, continuez votre route… et puisque l’été est enfin arrivé, que les Grandes Vacances continuent !

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Einsiedeln, mercredi 10 juillet 2024, 14.30

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